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Gaëlle Obiégly
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« Il est arrivé, à l'automne 2022, qu'un petit tas d'ordures suscite mon attention au point que je m'agenouille sur le trottoir pour les considérer. En vue d'un déménagement dont l'échéance approchait, l'essentiel de mon temps était alors occupé au tri et à l'empaquetage de mes affaires. Triant laborieusement, j'ai passé plusieurs mois à discriminer ce qui a de la valeur et ce qui ne vaut rien. D'un côté ce qui est destiné au paradis des archives ; de l'autre ce qui est voué à disparaître dans le néant des ordures. »
Qu'est-ce qui compte ? Comment déterminer la valeur d'une chose ? En s'appropriant les affaires d'une inconnue, en les mettant en miroir à sa propre vie, la narratrice nous plonge dans une suite de réflexions et de pensées tour à tour drôles, étranges, poignantes, vertigineuses. C'est finalement l'essence même de notre condition humaine, vouée à la disparition, qui est interrogée dans ce texte sans équivalent et d'une incroyable puissance. -
Totalement inconnu
Gaëlle Obiégly
- Christian Bourgois
- Litterature Francaise
- 25 Août 2022
- 9782267046656
Une voix surgit dans l'oreille droite de la narratrice pour lui donner des instructions, comme porter du noir et retrouver Pascal. Elle demande des précisions : Qui est ce Pascal ? Elle se voit répondre : vous recevrez la visite de Pascal et d'autres morts, ça ne va pas tarder. Docile, elle se dispose à accueillir des revenants. Cela tombe bien, elle pourra peut-être avoir le fin mot sur les questions qui la taraudent : Qu'est-ce qu'être mort ? De quelle manière peut-on connaître cet état en restant vivant ? Comment sait-on ce qu'on sait, d'où le sait-on ? Elle commence alors à écrire sur des choses qui lui sont inconnues dans la réalité mais qu'elle connaît quand même. Comme le Soldat inconnu. Cette figure insaisissable la côtoie depuis son enfance : une enseignante avait donné pour consigne de dessiner ce qui se dissimulait derrière un drap blanc, ce sont ses traits qu'elle avait ébauchés sur la feuille blanche, pour donner forme à l'inconnu.
Avec subtilité et malice, Gaëlle Obiégly nous convie à une conférence pour rendre tangible l'insaisissable. La transmission est au coeur de cette quête pleine de facéties et de vivacité amusée à l'image d'Yvette, une vieille dame haute en couleur. En multipliant avec légèreté et gravité des impressions disparates et instinctives, Gaëlle Obliégly porte sur la société et son prochain un regard d'une grande acuité. -
«La jalousie, en ce qu'elle transpose l'être jaloux et l'être aimé dans un univers imaginé, dans des situations possibles, fait oeuvre de l'être aimé. Peut-être au détriment de la relation amoureuse. Dans la jalousie, c'est moins l'amour qui est au centre des préoccupations que l'image de l'amour, c'est moins l'amour que l'objet d'amour qui nourrit l'esprit. C'est un peu comme lorsqu'aux premiers temps d'une relation d'amour on donne à toute superbe figure les traits de l'être convoité.» Gaëlle Obiégly.
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«Je m'utilise comme si j'étais un instrument. De toute façon, je suis une toute petite partie d'un être immense et souvent je dis des conneries. C'est pour ça que je cherche à n'être personne. Ça me permet d'en dire moins. Ou plus, mais sans craindre pour ma réputation.» Hôtesse d'accueil accidentellement enfermée un week-end entier dans les wc de son entreprise, la narratrice de N'être personne va endurer cette épreuve avec les moyens du bord (de la sagesse, du papier hygiénique, un stylo bic) en improvisant un cabinet d'écriture. Au gré de remémorations, apparemment chaotiques, elle se trouve peu à peu traversée par tous les âges de la vie.
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«Ce livre est comme un chien que j'ai rencontré une fois. Il y a des frissons, dedans c'est labyrinthique apparemment et infini comme dans un chien. Il y a des races chez ces animaux qui, de chiens de combat, évoluent vers chiens de compagnie. C'est un peu mon parcours. Mon livre ruminé, il a tout d'un cerveau. C'est une chose sérieuse et en même temps pas du tout.» Gaëlle Obiégly nous immerge dans l'esprit chaotique d'un homme, Daniel, recueilli dans une communauté survivaliste financée par madame Chambray, richissime mécène. Devenu le scribe et le cobaye de cette femme manipulatrice, il use des rares temps morts de sa liberté surveillée pour s'épancher dans un carnet de bord clandestin, celui qui fournit la matière brute et poétique de ce livre.
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«On se constitue par l'observation de la vie des autres. On existe dans les creux, les vides, dans ce qui est laissé. De la même manière que je me glisse dans les vêtements dont personne ne veut plus, je choisis des voies insignifiantes, étrangères. Celles qui mènent à l'inconnu. Mon Prochain est un champ d'expérience.» Gaëlle Obiégly joue ici sur plusieurs registres, entre roman picaresque, vrai-faux reportage, récit de voyage, carnet intime et art du croquis minimaliste. À l'aune de son héroïne délicate, fantasque, insaisissable, ce livre ne s'arpente pas sans étonnement, sourire complice et un certain état de lévitation.
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«Jeanne M. parle une langue amputée, celle de ses parents. On ne nomme pas tout du monde. La chair, sauf si elle se mange, est imprononçable. Femme n'existe qu'en synonyme d'épouse. Jeanne M. lit en cachette l'encyclopédie médicale que sa mère a achetée à un représentant. Les descriptions, les croquis lui donnent des frissons. Elle sent comme une bête dans sa culotte. Ce sont les mots, là, bannis, remuants. Elle les chuchote devant un petit bout de miroir, regarde ses lèvres dire ce que sa main caresse. Sur les photos de classe, Jeanne M. tord un peu ses doigts, elle ne fixe jamais l'objectif, elle baisse les yeux, esquisse un sourire. Elle porte des chandails que sa mère lui tricote, des vêtements qu'elle passe à sa soeur. Jeanne M. a les cheveux châtains. Son immense regard vert clair lui donne un air inquiétant, mélancolique, rêveur. À l'école, sa soeur se bat pour elle, Jeanne M. ne se défend jamais. Elle ne dit pas où elle a mal, ne demande rien quand elle a faim. S'enfonce dans la sensation.»
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« Quand on dit que Dieu a créé Adam et Ève, un homme et une femme, c'est évident qu'il ne s'agit pas seulement de deux personnes. Adam est déjà tous les hommes, et Ève toutes les femmes.
Une femme est devenue objet, bonne, conquête, actrice, starlette, employée, intellectuelle, réceptionniste, ouvrière, religieuse, trotskiste, naturaliste, épouse, résistante, mère, veuve, enseignante après avoir été une enfant. Une femme se sent déchue parce qu'elle n'est plus l'incomparable. Qui l'a trahie ? La nature ? »
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Dromadaires Ma mère me coud une robe longue en plumetis rose. Je vais faire partie du cortège de la Reine du Printemps. Je serai assise à ses pieds, sur son char qui défilera dans les rues. Le jour J, nous sommes plusieurs enfants décoratifs. Je ne parle à personne, je ne chahute pas, ma grand'mère vient m'embrasser, je la repousse, je regarde devant moi, je suis image, j'accompagne en silence. Alors que ma mère coud mon habit, un Arabe frappe avant d'entrer par la porte-fenêtre ouverte. Il vend des tapis. Ma mère n'en veut pas. Il demande s'il peut me regarder. Il propose à ma mère de m'échanger contre deux dromadaires. Ma mère accepte, elle sourit. Je crois que l'homme va revenir et m'emmener. Que va-t-elle faire des deux dromadaires ? Depuis, je sens que j'épouserai un étranger.
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Petite figurine en biscuit qui tourne sur elle-même dans sa boîte à musique
Gaëlle Obiégly
- Gallimard
- L'arpenteur
- 4 Janvier 2000
- 9782070757145
«Je suis partie un dimanche après-midi pour Saint-Pétersbourg voir mon père sur son lit de mort. Devant la porte du crématorium j'ai renoncé. J'ai acheté des fleurs dont j'ai respiré le parfum suave assise sur les bords de la Neva. Le ciel était sombre, lézardé, à certains moments, par les échos acides du soleil. Je voyais passer et repasser devant moi mon père enfant, déguisé en petite fille, paradant à la fête de l'école. J'aurais voulu être sa maman.» Gaëlle Obiégly.
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Le vingt et un août, jour de son anniversaire, la narratrice, mythomane, se décide à passer aux aveux. Elle se souvient d'avoir commencé à mentir vers quinze ans, ayant quitté sa famille pour l'internat. Sa vie d'avant le mensonge lui revient intacte dans sa brutalité d'alors, muette. Par peur des autres, elle s'est tour à tour enfermée dans le silence et l'affabulation. Comment s'affranchir de sa propre tyrannie ? Elle se résout à s'émanciper du mensonge, son joug. Le même soir, elle a rencontré Gamin. C'est à lui qu'elle avouera. Pendant une année d'agitation et d'inertie, elle prépare sa libération. Et parle, enfin.
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Lors d'un souper mondain donné, au bien nommé château Le Luxe, en l'honneur du sculpteur Pierre Weiss, on se presse autour de la table du directeur. Au cours de cette mémorable soirée, la fête va dépasser les bornes de la bienséance. Tout commence par la disparition de l'artiste qui a déserté son propre vernissage, à moins qu'il ne soit venu quand même, mais sous une fausse identité. Ce lâchage impromptu provoque une série d'accidents en chaîne, avant que la nuit ne s'achève en catastrophe générale. Parmi les convives émerge d'abord la compagne de l'artiste, mais ce roman en cinq tableaux fourmille de personnages excentriques : des domestiques déguisés en invités (ou l'inverse), un étrange revenant nommé Joseph qui se prétend propriétaire du Luxe, Sébastien et son chien Clebs qui lui sert de fils adoptif. Il n'y a pas que l'artiste qui a disparu, mais aussi le clou de la soirée, sa sculpture Bild und Porzellan II. Pourtant, le chef-d'oeuvre pèse tout de même plusieurs tonnes. La sculpture a dû rejoindre par erreur l'autre musée du parc, celui des valeurs sentimentales, même s'il est impossible qu'elle y figure puisque qu'il n'accueille aucune oeuvre d'art et, de surcroît, ne se visite pas, au dire de son gardien, Robert, qui n'a donc rien à garder, à part ses secrets. Dans ce roman labyrinthique, les destins d'une quinzaine de personnages se croisent, parfois sans le savoir. Les motifs de l'amour (à partenaires multiples), de la disparition (souvent choisie jamais désespérée) et de l'art (délivré de sa vanité), s'incarnent dans un chassé-croisé rocambolesque, drôle et fantasque. La douce folie des uns, la naïveté forcenée des autres, la réversibilité des valeurs hiérarchiques et les jeux de dédoublement président à cette communauté de héros minuscules pris dans un principe de narration extravagant et facétieux. Car l'auteur a choisi pour ce livre une contrainte poétique de taille : le dernier mot de chaque phrase devient le premier de la suivante. Ce jeu des kyrielles, ou bouts-de-ficelle, comme on dit dans les cours de récréation, s'impose moins comme une contrainte de pure forme que comme une force d'entraînement imaginaire. Dans le sillage d'un Jonathan Swift ou d'un Lewis Carroll, il révèle en Gaëlle Obiégly une conteuse hors pair et invite le lecteur à retomber en enfance, l'enfance de l'art romanesque.
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Une jeune inconnue monte dans un train à destination de Vivonne. Elle a rendez-vous avec Séverine, une fée célèbre pour sa chevelure arcen- ciel. Le train file à toute vitesse à travers la campagne et un étrange personnage apparaît soudain dans le compartiment, et s'assied juste devant la jeune passagère. C'est un jeune homme pétillant, enjoué,
lumineux... qui se transforme bientôt en coyote ! Car oui, il était coyote dans une autre vie, habitait Zabriskie Point et la Vallée de la Mort. Par ailleurs, il révèle à la jeune fille que lui aussi connaît cette fée Séverine, il se pourrait même qu'il ait joué un rôle majeur dans sa vie...
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Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne Tome 5
Sylvie Germain, Jean Lancri, Gaëlle Obiégly, Michelle Porte, Michel Simonot
- Editions De La Sorbonne
- Breves
- 14 Septembre 2023
- 9791035108946
Jean Lancri, Gaëlle Obiégly, Sylvie Germain, Michel Simonot et Michelle Porte, à l'invitation conjointe de la Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne et de la Maison des écrivains et de la littérature, arpentent tour à tour la bibliothèque, la font parler dans sa langue intertextuelle, créent des liens inattendus entre des fragments de lectures ou d'événements dispersés, inventent un récit, un voyage, une aventure, et, en hommage à Edmond Jabès, laissent la place centrale qui lui revient à la question, celle de l'altérité.